Ce n’est ni notre perte de virginité ni notre retraite du monde post-apocalyptique. Mais que Remnant est un succès! S’émancipant du modèle qu’on veut bien lui coller à la peau, le jeu se taille lui-même les traits pour ensuite définir les autres. Résolue, la création est difficile et gratifiante, sobre et pléthorique, paradoxale et homogène. Un réel coup de coeur non exempt de quelques chamailleries, sitôt effacées par les réussites qui nous font chavirer. C’était donc cela dont nous avions besoin: du caractère, de la résistance et de la cohérence. L’envie de retourner au front quasi-désert et malfamé, entouré ou non de ses comparses d’un monde en décrépitude et infecté. D’une Direction Artistique racée, le soft vous emmènera là où le superflu n’a aucun refuge tout en refusant que la fin du monde ne soit qu’une toile de fond destinée à vous détourner de l’essentiel, à savoir la survie en milieu hostile. Une inspiration qui nous perturbe encore, nous faisant enchaîner les propos de l’antithèse. Vu comme cela, il est loin d’être incommodant de penser que l’Apocalypse est une chance. Rejoignez-nous, Compagnons d’Infortune.
Les plus
Les moins
Il va sans dire qu’en 1979, le génial Hayao a rencontré la surprise antérieure à la gloire, celle qui vous force à courber l’échine en regardant la chaîne de montagnes qui le sépare du commun des mortels. Le Château de Cagliostro est la pierre angulaire, première marche d’une colossale ascension. Alors quand on partage le même patronyme et que l’histoire se répète, certes en usant d’un masque d’une élégance différente, il y a lieu de se demander si l’alignement des planètes était si lumineux que nous fûmes aveuglés. Point de Ghibli ici. Sauf qu’en 2009, FromSoftware et Hidetaka brillent de mille feux et s’amourachent du divin en élevant à la face du monde Demon’s Souls dont la descendance Dark est aussi noble et vertueuse que le paternel. Au point de faire trembler les lignes, annoncer les points de rupture et se substituer au genre auquel la dynastie appartient dans les prophéties des Oracles. Murmurer l’Action-RPG relève selon certains espions de la félonie. Désormais, place aux paladins du “Soulsborne”. Mais toute Légende connaît une désacralisation, réfractaire vaincue par le langage commun issu du simplisme ravageur. Dans l’oeil du cyclone, Remnant: From the Ashes ne serait que cela: un ersatz plus ou moins promu au rang de représentant de style. Inacceptable. Et réducteur. Il est temps de reconquérir nos terres.
Ashes j’étais riche!
S’il fallait par malheur arrêter ce test de suite en raison d’un problème technique ou d’un manque de rhétorique évident, alors autant tout vous avouer, lecteurs aux yeux d’or: ne pas savoir par où débuter est un signe de richesse incommensurable ou de perdition infinie. Sommes-nous donc de délicieux fous galvanisés par l’extase du désespoir pour nous lancer dans une envolée lyrique? Vous savez bien que non. C’est qu’on commence à se connaître, vous et nous. Remnant nous a marqué de son empreinte et jamais nous ne l’oublierons.
Le post-apo connaît son heure de gloire. A une époque fut le ruissellement des zombies. Pour une autre, on s’inclinait devant les superbes héros. Et ainsi de suite.
Ici, le jugement dernier est arrivé suite à une période de gestation entamée dans les années 60. La Terre est dévastée et nos développeurs de Gunfire Games s’en sont donnés à coeur joie. Il faut dire qu’étant composée d’anciens de Vigil Games, l’équipe engendre une connexion plus que cohérente. D’ailleurs, alors que le troisième volet de leur série fétiche, bien que revenant d’entre les morts, nous soit parvenu, il n’en restait qu’un goût de trop peu ou plutôt de “pas assez”.
Tir corrigé d’entrée avec la nouvelle dystopie qui ne se cache en aucun cas: une technique plus que correcte, en dépit de quelques textures parfois légèrement foireuses, et une Direction Artistique qui en jette même en usant et abusant des filtres violâtres et rouges-plus-que-vifs. Une prise de risque qui avait déjà impressionnée à l’époque de Shin Megami Tensei: Lucifer’s Call, dans un registre si différent et fraternel à la fois.
Et c’est en sortant de nos carcasses que nous nous apercevons d’une chose: Remnant partage des similitudes avec Dark Souls sans en être une copie. Voilà c’est dit. Loin du sectarisme vidéoludique, notre sujet du jour fait un choix à l’encontre de la trilogie et de son cousin Victorien: le procédural à 2 étages. Les niveaux seront générés puis fixés durant votre périple, à moins d’utiliser le reroll disponible qui cassera tout pour rebâtir. Quant aux ennemis, chaque respawn les placera selon une autre organisation, parfois minime mais présente. Oui, l’apprentissage du stage tel que nous le connaissons prend ici un sévère coup dans le triangle. Ce sera le skill sans le par-coeur. Un point c’est tout.
Une chouette initiative avec ce que cela implique comme désagréments: la verticalité et les raccourcis sont en berne sans influer sur l’intelligence de l’ensemble, plus dirigiste sans toutefois se moquer de phases d’exploration nécessaires. Car l’aventurier qui compte en faire fi ferait mieux de se raviser, tellement le grind et le craft sont le coeur du projet. Refusant le monster-loot, à vous de trouver votre armement, du matériau pour l’améliorer ou en fabriquer (vous avez dit “armes de Boss?”) et des pièces de récupération, la monnaie du jeu, pour pimper votre arsenal de mods indispensables qu’ils soient offensifs (notre côté pyromane ne nous a jamais lâché) ou défensifs (parce qu’un vrai healer est un joueur qui se respecte, demandez du côté de Sidera). L’ensemble est bien amené et charge à vous d’utiliser vos 2 armes de tir pour, en plus d’allumer vos adversaires, faire grimper la jauge permettant d’activer la capacité spéciale ajoutée par lesdits mods. Remnant est un pur TPS dans les sensations: le rendu des flingues, le switch entre les calibres et la tension des rechargements juste proches de la perfection sont idoines…n’oublions pas la customisation, s’octroyant l’impression de se confronter à un “Shooter-RPG”.
Oui le càc est bien présent mais il est bien plus souvent un dernier recours pour économiser vos précieuses cartouches en nombre limité. D’autant plus que celui-ci ne dispose pas du même traitement que la distribution de rafales. Il arrive, surtout au début, de cogner dans le vide et de s’en prendre une bien avant de réussir à tabasser le difforme mécréant.
Sans doute que le lock, totalement absent ici, aura eu raison de nos coutumes.
Le monde...a changé.
Le talon d’Ashes
Si l’amour ne dure que 3 ans, c’est probablement parce qu’il en oublie les fondamentaux: savoir dire, écrire, illustrer ce qui déplaît. Remnant, notre compagnon de route, que tu es parfois bien raide voire mal animé lorsque nous observons tes visages bien rendus mais inexpressifs. Alors que les âmes qui les hantent ont un caractère audible, quoique parfois excessif.
Le scénario quant à lui se suffit à lui-même. Tout juste regrette-t-on la mollesse des cinématiques, immédiatement contrebalancées par les écrits que vous trouverez et les dialogues savoureux qui excellent lorsqu’il s’agit de nous plonger dans un lore morbide et opulent de sens. Cryptique, l’intelligible se dévoilera au fur et à mesure de votre avancée, en ayant la délicatesse de laisser libre cours à l’interprétation en ressentant le poids d’une ambiance pesante et délicieuse. L’infection et le mal sont issues de “la Racine” et cette précision vous apporte la qualité de la métaphore.
Par ailleurs la VF se défend correctement pour chaque échange et nous ne pouvons que regretter une synchro labiale aux poires et surtout une mauvaise utilisation du quasi-mutisme du héros. Si celui ou celle-ci, homme femme déterminé(e) par vos soins physiquement et par la suite dans les attributs (comme d’hab, nous y reviendrons), il/elle lâche quelques répliques cinglantes augmentant le stress lors d’une situation difficile mais le manque de percussion se ressent lors de maillages majeurs. Si tel est le poids du boute-en-train totalement dénué de cordes vocales, le fait de laisser une part de phonation est quelque peu hasardeux car mal régulé.
Pénible est également, comme l’aurait dit le maître, l’obligation de rentrer à chaque fois au hub, alias la “station 13” (que les fans d’Indochine se lèvent) par le biais d’un chargement long et acteur du découpage malfaisant du rythme. Oui sans cette plaque tournante impossible de commercer, s’augmenter ou de faire croître l’utilisation de nos coeurs de dragon, l’équivalent de l’estus pour les connaisseurs dont l’animation est une marque d’ingénierie absolue.
Ajoutons à cela un boxon sans nom dans la présentation des objectifs aussi obscurs que certains donjons, et notre pamphlet se termine sans détour. Du moins en solo…
Car c’est aussi à ses quelques imperfections que se livre la marque des grands évitant la propagation du virus dans nos organes vitaux. Remnant s’égare parfois mais il est comme chaque ami du monde. Tantôt juste, ponctuellement maladroit, toujours réconfortant.
La "porte" du changement.
Ash moi la grappe!
Et Remnant l’est. Même en fermant les paupières. Le dialecte musical est inspiré et imprégné de justesse, habilement discret ou épique et touchant si la situation l’exige. Entendre ces quelques secondes de sifflements lors de l’écoute du thème principal devrait suffire à convaincre les récalcitrants.
Que dire du sound-design si ce n’est qu’il est à l’image de la réalisation globale? Dans le ton et approprié, une sortie de route de ce dernier aurait contribué à entretenir un préjudice le plus abscons et fort heureusement la partition se joint à l’harmonie de l’édifice.
Mais vous êtes aussi là pour parler d’extase une fois la manette chevauchée, heureux fripons que vous êtes! La raison est de votre côté et Remnant répond à vos attentes: visée un peu assistée mais percutante, possibilité de basculer en gaucher, localisation des dégâts et zones de faiblesse des badauds, au design qui oscille entre Agony (pour le reproche) et Fade To Silence (pour la gratification), le soft met en exergue sa nervosité sans chuter dans le barbarisme de bas étage et l’effort est à signaler.
N’oublions pas que, composante RPG asservissante, de nombreux facteurs changent la donne comme la robustesse de votre équipement ou de votre puissance de feu, même si le jeu s’adapte automatiquement. Cela ne vous empêchera pas de rouler sur quelques mobs auparavant pénibles mais point de confusion: votre part d’empirisme y sera aussi pour quelque chose. A vous aussi d’exploiter les idées du jeu. Pourquoi? Comment cela? Votre armure comporte 3 pièces et si celles-ci proviennent d’un même set, des bonus vous seront octroyés. Astucieux!
Aucune réelle surprise dans le gameplay en temps réel n’est à signaler (on ne vous parle pas encore des trouvailles. Nous y venons rapidement!) néanmoins la fertilité est de mise. Cela fonctionne et répond bien. Les esquives sont justes et même si un demi-tour aurait pu être appréciable, il va sans dire que les mécaniques flirtent avec l’insolente réussite.
La gestion de la barre d’endurance est d’une belle aisance uniquement basée sur l’esquive et le sprint et si nos petits cerveaux furent réfractaires de prime abord, ceux-ci commandèrent nos applaudissements quant à la magnificence de ce choix. Il aura fallu atteindre le quart du jeu pour s’en rendre compte, coquin de sort!
A vous aussi de gérer votre équipement selon le contexte car les attaques seront aussi physiques qu’élémentaires et les altérations d’état piquent la tronche. Ok les consommables assignés aux raccourcis de votre choix seront salvateurs, encore faut-il que le timing soit dominé. Economisez également vos munitions pour ne pas vous retrouver à sec car bon sang: c’est la fin du monde oui ou non?! Et restez spéléologues dans votre démarche. Finalement, tout n’est peut-être pas perdu.
Unis...même quand la nature s'en mêle.
Ashes ou opium?
Oui il reste une composante essentielle à développer. Mais avant, il convient de parler de ce qui constitue LA grande réussite de Remnant. Une belle innovation et une pertinence sans nom: le système de level-up est un plat raffiné.
Exit le boost classique. Affirmatif! La progression de votre personnage passera par les combats ou par la découverte de Tomes spécifiques. Toutefois cela transite par la mécanique des “Traits”. Si certains sont innés et classiques, comme le boost de l’endu ou de la vita, d’autres seront à découvrir avant d’être upgradés. A titre d’exemple, si vous ramenez un type d’objet à un PNJ particulier, vous serez un “récupérateur” et obtiendrez plus d’argent en loot lors de vos fusillades. Vous vous trouvez au bon endroit suite à vos recherches? Un gain de votre XP sera envisageable. Remnant vous laisse vous façonner en tant que joueur et si vous souhaitez devenir un tank-sniper, vous le serez.
Quant aux longues sessions de prise d’expérience qui vous chatouillent un tantinet de trop, vous serez satisfaits d’apprendre que les points d’accès, comme les feux des Souls pour le coup, sont totalitaires. Totalement rétabli, votre champion devra faire face au respawn des irritants afin de se renforcer. En gardant à l’esprit ce que nous avons dit plus haut: ce qui est placé à un endroit n’est pas un pilier…
La difficulté vous enveloppera sans être insurmontable. Essayer à nouveau, c’est intégrer. Et si la mort peut vous faire râler, cette dernière est débonnaire et peu punitive finalement: vous garderez vos gains sans sourciller et vous retournerez au combat avec ce surplus de vivacité fusionné à votre matière grise. Ne craignez pas non plus d’être trompé par le destin dès le choix initial: que vous soyez chasseur (longue distance), ex-cultiste (middle) ou baroudeur (càc), ce n’est qu’une qualité de base loin d’être un déterminisme obsédant. Nous réitérons: à vous de définir ce que vous serez.
D’un challenge relevé, Remnant vous dévoilera ses secrets après plusieurs runs, le premier étant la mise en bouche pour goûter la fraîcheur d’une petite moitié de l’iceberg. Histoire de rencontrer certains PNJ et/ou Boss que vous auriez loupés, car vos choix dicteront ce que vous verrez ou non et chaque partie sera quasiment unique. En évoquant lesdits Boss, ils ne sont pas là pour plaisanter. Souvent bien entourés, ils vous rappelleront froidement qui est le Seigneur des lieux. D’ailleurs votre première rencontre avec l’un d’entre eux vous signifiera que s'enorgueillir est vain car la fierté de mettre une trempe à un certain Gundyr est l’équivalent d’une perdition en pleine cambrousse. Et nous nous répétons: finir une première aventure ne s’assimile pas à compléter le soft.
Et à moins de recommencer les niveaux après un reroll ou de squatter la partie des autres, aucun autre moyen n’est à notre disposition.
Loué soit le soleil (Astora est magnifique), Remnant est pensé pour être traversé en multi malgré sa faisabilité soliste.
La survie ne tient parfois qu'à une lame...
Brothers in Ash
Point névralgique de la campagne marketing, la coopération en ligne est une promesse tenue. La donne change et l’appréhension mute. Si l’équilibrage prévoit une augmentation de la résistance de l’adversité, le jeu est-il vraiment plus difficile pour autant? Oui et non car si effectivement on en prend encore plus sur la gamelle, le fait de se partager l’aggro est salvateur.
Même s’il faudra rester prudent dans l’avancée pour éviter la submersion et gérer les espaces. En ce sens le fait de savoir qu’un ou deux compagnon(s) sont à vos côtés, le multi se jouant à 2 ou 3 camarades, amis ou inconnus, a quelque chose de réconfortant.
Et durant nos sessions, nous avons retrouvé la notion de partage et d’attention malgré ce foutu manque de possibilité d’interaction avec nos équipiers. Il faudra aussi se montrer patient pour entrer dans une partie car une apparition n’est possible qu’à partir des points-relais et ce n’est pas toujours la panacée pour y accéder, surtout en plein échange de bourrasques.
A ce propos, seul celui qui héberge avancera dans sa campagne. Si vous êtes au même point et que vous faîtes un bout de route chez lui/elle, le retour à votre partie se trouvera là où vous fûtes. Avant l’entrée dans la sphère de l’autre joueur. Injuste? Non, pas vraiment car vous engendrez de l’expérience et surtout vous trouverez des PNJ/loot/Boss que vous avez manqués lors de votre avancée. Extraordinaire.
Stratégique, à vous aussi d’éviter de canarder à tout-va car si le friendly-fire est de mise pour le camp adverse, cela est valable aussi pour vous. Pas extrêmement affreux mais relativement handicapant et irritant.
Il convient de saluer l’efficacité de ce mode et la sensation de partager quelque chose de fort, un sentiment omniprésent malgré la couche de verre muette qui nous sépare. Pour ensuite boucler la fortune en une quinzaine d’heures et repartir depuis le point de départ.
D’autres modes de difficulté vous attendent. Le monde dévasté a besoin de vous, survivant du néant.
Le "Mal" à la "Racine".